Notre capacité à transformer la data en une grammaire audible par les consommateurs fera toute la différence dans ce nouveau contexte.

Catherine Michaud, CEO d’Integer France (Institut Pasteur, La Poste, Système U, WWF, etc.) et VP de TBWA Groupe, nous livre le récit de ces dernières semaines bien agitées, où marques et agences ont dû faire preuve de beaucoup d’agilité, de capacité d’écoute et d’adaptation pour livrer un discours et une expérience client en phase avec la réalité de tout un chacun.

Comment tout ce processus – l’annonce de la pandémie, le confinement, la perspective de la reprise – impacte-t-il votre travail au quotidien avec les marques ?

Pour nous tous, agences comme marques, il y a eu une première phase de sidération suivie d’un réveil assez brutal de créativité. La toute première séquence a consisté à s’organiser et à s’assurer de la continuité de l’activité. Ensuite, il nous a fallu réfléchir au « comment », pour ceux qui souhaitaient maintenir leurs campagnes, tout en anticipant la sortie de crise pour ceux qui ont décidé de suspendre leur communication.

Dans un tel contexte, il faut se focaliser sur l’instant. Certaines marques ont embrassé le discours sanitaire de protection, d’autres ont privilégié celui de l’accompagnement au confinement (entertainment, sport). Dans tous les cas, le digital a concentré les opérations, l’affichage extérieur étant hors sujet et la télévision, beaucoup trop accaparée par les informations autour du Covid.

Nous sommes maintenant dans une troisième phase, qui consiste à nous projeter dans l’après. Nous devons mettre au service de nos clients notre créativité dans cette logique d’anticipation. Pour certains secteurs, comme l’alimentaire, il est déjà temps de penser à Noël… Une véritable mobilisation intellectuelle est nécessaire pour nous permettre de bien déterminer les attentes des citoyens et des consommateurs.

 

Comment la data vous aide-t-elle dans cette réflexion ?

La data nous sert à objectiver au maximum notre réflexion, et nous en sommes bien fournis. Elle nous est donnée essentiellement via les outils d’écoute sociale (les conversations en temps réel sur les réseaux sociaux) et les nombreuses études du marché (sondages d’opinion, données sur le pouvoir d’achat, etc.). Le fait de savoir que les trois quarts des Français ne souhaitent pas envoyer leurs enfants à l’école est une donnée très importante. Nous savons aussi très concrètement qu’à la rentrée il y aura une baisse du pouvoir d’achat. Tout cela doit être pris en compte.

En parallèle, nous devons être très agiles pour adapter nos messages au gré des différentes annonces des autorités sanitaires et gouvernementales. L’avantage du digital est de nous permettre de le faire très rapidement, contrairement à la production d’un film ou d’un imprimé.

 

Une fois que l’on dispose de la donnée, comment adapter le fond et la forme ?

Toute la différence réside précisément là : dans la capacité des équipes des agences à adapter les messages des marques et des enseignes afin que cette donnée soit traduite en une nouvelle grammaire audible dans ce nouveau contexte.

Prenons l’univers du fundraising. Les appels aux dons marchent plutôt bien en ce moment. Les gens peuvent l’entendre, ils veulent aider la recherche médicale, ils ont pris conscience des besoins de ceux qui se trouvent confinés dehors. Mais leur réaction sera-t-elle la même en septembre, quand beaucoup d’individus risqueront d’être confrontés à la baisse de leur pouvoir d’achat ? Il nous faut être capable d’anticiper cela, de trouver d’autres manières de parler au marché et d’autres cibles à privilégier, qui soient moins directement affectées par les problématiques de chômage, comme les retraités.

Prenons l’exemple de la grande distribution. Traditionnellement, à chaque rentrée, à l’automne, les retailers prévoient de nombreuses animations visant à créer du trafic en magasin, une sorte de grande surenchère promotionnelle assez intensive. Cette fois-ci, il faudra sans doute se poser la question de la pertinence d’une telle démarche à un moment où beaucoup d’entre nous prennent du recul sur sa manière de consommer, sans parler des difficultés économiques qui pèseront également. On vivra un post-Covid qui ne sera pas tout à fait un retour « à la normale ». Cela ne veut pas dire qu’il faut être triste ou austère, mais tout simplement qu’il faudra adopter un discours plus empreint de bienveillance et d’engagement sur la façon dont on se comporte comme marque.

 

Observez-vous des changements qui risquent de durer ?

Il y a eu plein de nouvelles manières de faire qui ont été testées. Celles qui ont été conçues pour simplifier l’expérience client et qui s’avèrent utiles vont sans doute rester.

Prenez l’exemple de la vente à distance, testée par de nombreuses marques faute de choix, comme La Poste ou Leroy Merlin. Cela apporte plein d’avantages qui ne sont pas uniquement d’ordre sanitaire, cela simplifie la vie des gens. Il y a aussi l’exemple de Decathlon, contraint de fermer ses magasins, ses produits n’étant pas considérés comme de première nécessité. L’enseigne a ouvert des corners chez Franprix pour proposer aux sportifs des produits de première nécessité pour leur pratique. Sachant que quand on habite en ville, on a souvent des Franprix en bas de chez soi, il est fort possible que ces corners soient maintenus, car ils simplifient la vie des gens !

Un tout dernier exemple : rappelez-vous la décision de Mediapost d’arrêter de distribuer les catalogues papiers des retailers, un coup très dur pour le secteur puisqu’il s’agit pour eux d’un levier hautement efficace. Cela nous a amené à réfléchir à des versions bien plus dynamiques et data driven justement, avec une approche affinitaire et ciblée, de la diffusion des catalogues digitaux de Système U. Tout cela est en accélération. Nous vivons par conséquent une période qui créée de nouvelles opportunités en R&D. Si elles prouvent leur utilité, elles seront amenées à rester, contribuant à accélérer la transformation digitale des marques.

Propos recueillis par Luciana Uchôa-Lefebvre