Jean-Baptiste Rouet
Head of digital corporate reputation & digital Innovation
Publicis Media France

En route vers le monde d’après : sans le cookie mais avec l’ID

Jean-Baptiste Rouet (Publicis Media France) est catégorique : l’ID universel est la solution qui permettra à la publicité personnalisée de continuer de financer l’information libre dont dépend la survie de nos démocraties.

Le marché publicitaire met de plus en plus en avant la notion d’achat média privacy first. Est-ce une tendance de fond ou du pur effet d’annonce ?

L’industrie assume une responsabilité à la fois collective et individuelle à l’égard des réglementations. Et je pense que nous pouvons lui faire confiance. Du point de vue collectif, elle s’autorégule à travers les standards diffusés par l’Interactive Advertising Bureau (IAB). Aujourd’hui 718 sociétés technologiques émettrices de cookies (pour l’e-commerce, les réseaux sociaux, l’analytics, la publicité personnalisée…) sont inscrites au Transparency and Consent Framework (TCF) de l’IAB Tech Lab. Ce standard a permis d’industrialiser la collecte du consentement.

D’un point de vue individuel, tout site média doit demander le consentement pour la génération de tout type de tracking. L’éditeur en est le premier responsable. En France, la CNIL recommande les bonnes pratiques et dispose d’un pouvoir de contrôle et de sanction. Nous faisons confiance à ce fonctionnement. Enfin, nous avons mis en place avec tous nos partenaires dès le 25 mai 2018 [date d’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données (RGPD), NDLR.] les garde-fous permettant de définir la responsabilité de chacun.

Tous ces cadres nous permettent de continuer de faire du data driven marketing, sans pour autant négliger les solutions cookieless, qui se sont beaucoup améliorées et qui sont complémentaires.

L’industrie craint-elle toujours la baisse du taux de consentement des internautes ?

La baisse du taux de consentement varie entre 10 % et 30 %, les marques premium affichant les taux de refus les plus bas. Mais cette baisse n’impacte que très peu la livraison des campagnes. Les agences dans leur ensemble ne constatent pas d’impact ni sur le nombre d’impressions ni sur le CPM. C’est en revanche la mesure de l’efficacité et l’attribution des campagnes sur le site de l’annonceur qui peuvent sortir impactées, du moins chez ceux dont le taux de refus est élevé. Dans ce cas, l’annonceur perdra également beaucoup d’opportunités d’activer des campagnes de retargeting, ce qui pose problème, ce levier étant un gros driver de business. Ceci étant, chez les gros annonceurs, le taux de refus est très bas. Tout est une affaire de confiance.

Plus l’internaute a confiance en la marque plus il accepte la collecte de ses données ?

Les marques médias et les annonceurs qui disposent de la confiance de leurs audiences et consommateurs n’ont pas de soucis à se faire. D’où l’importance de bien expliquer l’échange de valeur de la collecte de données, comme recevoir un contenu et des offres pertinentes et accéder à des services adaptés. Nous encourageons les annonceurs à tester les différents messages de leurs plateformes de gestion du consentement afin de maximiser l’acceptation de la collecte de données personnelles. Aujourd’hui on parle de cookies. Demain ce sera le tour de l’identifiant universel.

Vous faites allusion à la fin programmée des cookies tiers. La publicité ciblée n’est-elle donc pas condamnée ?

Bien sûr que la publicité personnalisée résistera à la fin des cookies tiers. Nous avons un an pour nous y préparer. Le remplaçant du cookie tiers sera l’ID universel dans l’open web –  dont l’Unified ID 2.0 développé par The Trading Desk avec lequel Publicis a signé un partenariat mondial – et les cohortes de Google (Privacy Sandbox). Avec REARC de l’IAB, nous pourrons gérer dans la chaîne programmatique à la fois les open ID et les cohortes de Google. Google composera ces cohortes (des segments de 50 individus minimum ayant consenti à ce traitement) à partir du comportement des utilisateurs sur Chrome, YouTube, Google Ads, etc. Cela donnera naissance à des segments extrapolés sur la base de comportements similaires. 

L’ID de l’open web auquel vous faites référence … c’est le cookie remplacé par une autre forme de tracking des utilisateurs. C’est un peu du pareil au même, non ?

Prenons l’exemple d’Epsilon, leader du data marketing aux États-Unis qui rassemble 200 millions d’ID individuels sur le marché américain (et déjà plusieurs millions en France et au Royaume-Uni) que le groupe Publicis a acquis en 2019. Nous collectons ces données avec des sites partenaires, d’e-commerce notamment. Cet ID est attaché à une donnée CRM qui inclut des attributs shoppers, sociodémographique et de centres d’intérêt. Grâce au nouveau framework de l’IAB, nous allons pouvoir croiser les ID d’Epsilon avec ceux de The Trading Desk pour pouvoir les activer dans l’open web (c’est-à-dire chez les sites médias et tous les environnements « libres » du web, en dehors des GAFA). La nouvelle devise de la publicité segmentée sur l’open web sera l’ID et non plus le cookie.

Comment – encore une fois – donner aux utilisateurs la garantie que cela se fera avec leur consentement ?

Comme pour les cookies, aucune donnée CRM n’est collectée sans votre consentement. Quand vous êtes chez un e-commerce et que vous réalisez un achat, vous pouvez cocher ou pas les cases autorisant le partage de vos données avec les partenaires du site. De même, quand vous serez sur un site d’un éditeur quel qu’il soit, si vous ne donnez pas votre consentement, vous ne recevrez pas de publicité personnalisée. Il faut donc un double voire un triple opt-in pour que tout ce processus de collecte de données, d’attribution d’un ID et d’affichage d’un message personnalisé puisse s’opérer.

En deux mots quel est l’enjeu de tout ça ? Pourquoi se battre pour une publicité personnalisée ?

Les producteurs de contenus dépendent des publicités pour continuer d’exister car c’est très compliqué de disposer d’une base solide et suffisante d’abonnés. Or, une impression qui n’est pas ciblée – donc une publicité qui n’est pas personnalisée – perd de 50 % à 70 % de sa valeur ! Si on ne fait rien, les grosses maisons ne tiendront pas. D’ailleurs la concentration est déjà en marche. 

Le modèle économique des GAFA n’enrichit personne, bien au contraire, il finira bientôt par asphyxier tous les éditeurs. En captant l’écrasante majorité des parts et de la croissance du marché publicitaire, Google et Facebook mettent à mal la capacité d’investissement du monde libre. Bientôt les éditeurs ne pourront plus financer la production des contenus. Or, c’est bien ces derniers qui nous permettent de rester informés.

L’ID universel est la solution qui permettra aux éditeurs de faire contrepoids aux GAFA. L’enjeu de l’ID c’est le reach, la couverture. Les grands e-commerçants et les retailers mis à part, les sites web ne disposent pas assez d’identifiants. Nous avons donc un an pour travailler ce partage d’ID. Ce dernier ne doit pas être monétisé : ce sera le pivot d’une construction commune pour permettre à l’open web de continuer de se monétiser et d’exister.

Propos recueillis et édités par Luciana Uchôa-Lefebvre